Tant de lits
Il y eut ce berceau
Où je poussai mon cri
Miaulement de lionceau
Dans cette nurserie
Puis je battis des ailes
Dans un lit à barreaux
D’où je me fis la belle
Pour mieux tomber de haut
Là sous mon lit d’enfant
Le loup dans sa tanière
De l’aiguille de ses dents
Recousait mes paupières
Sur l’édredon de plume
Souvent l’ami Pierrot
M’emmenait sous la lune
Pêcher au lamparo
Tant de lits nous relient
Que notre vie s’y lit
Il y eut lit d’appoint
Des soirées de vacances
Des rires de copains
Et des chagrins d’enfance
Des lits d’herbe coupée
Et des senteurs de foin
Des batailles menées
À coups de traversin
J’y fus adolescent
Amidonnant les draps
En m’échauffant les sangs
À rêver d’autres bras
Puis arriva l’été
Du tout premier amour
Où nous avons flirté
Sur ce lit de velours
Tant de lits nous relient
Que notre vie s’y lit
Il y en eut bien d’autres
Et des mortes saisons
Des couche(s) où l’on se vautre
Des nuits au paillasson
Quelque lit de fortune
Parfois de belle étoile
Au matelas des dunes
Et hissant la grand voile
Qu’il soit à baldaquin
Ou bien simple paillasse
Que l’on y soit coquin
Ou bien corps de guerr’ lasse
J’y connu des nuits blanches
A me griser d’amour
Et le creux de ces hanches
D’où l’enfant vit le jour
Tant de lits nous relient
Que notre vie s’y lit
Il y eut ce grand lit
Des nuits de solitude
Ce terrain d’insomnie
Ce trop plein d’habitude
Celui trop tôt défait
Où j’ai veillé mes morts
Le linceul des regrets
Où s’ébattaient nos corps
J’ai connu des hamacs
Balanciers de mes siestes
Des bonheurs de bivouacs
Sous la voute céleste
Pour un frisson de fièvre
Sous la couette en silence
J’ai cueilli à vos lèvres
Quelques billets d’absence
Tant de lits nous relient
Que notre vie s’y lit
Que grincent les ressorts
En attendant le jour
Où notre lit de mort
Réclamera son tour
Philippe Thivet
(15/01/2019)