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La timidité des arbres

Nos écorces rugueuses
Aux pointes des canifs
Quand la lame amoureuse
Tendrement se rebiffe

Nos noueuses attentes
À recompter nos fleurs
Quand le printemps nous plante
Un pivert en plein cœur

La sève un peu trop verte
Du cœur adolescent
Dans les rameaux alertes
D’un chêne pubescent

Et la timidité
Que l’on prête aux grands arbres

Nos pudeurs de bourgeons
Aux replis de nos âmes
Qu’un désir sauvageon
Menace de ses flammes

Nos tremblements de feuilles
Au souffle d’une bouche
Qui narquoise nous cueille
Hissée sur une souche

L’asile des forêts
Nous déclarant des leurs
Quand dans la cerisaie
Chante un merle moqueur

Et la timidité
Que l’on prête aux grands arbres

Nos essences contraires
Altières qui se toisent
Ignorant l’adultère
De leurs ombres chinoises

Nos tristesses de saules
Au miroir de l’étang
Quand y nageant le crawl
Narcisse nous attend

Les frondaisons ardentes
De nos étés indiens
Jusqu’à l’heure imminente
Où rien ne nous retient

Et la timidité
Que l’on prête aux grands arbres

Nos copeaux dérisoires
Sous la scie des tempêtes
Quand le dernier espoir
Craque son allumette

Nos bras donnés pour morts
Aux assauts du noroît
Quand nos ombres à bâbord
Semblent porter leur croix

Les frêles silhouettes
En dentelle de givre
Au feu d’une amourette
Appelant à la suivre

Et la timidité
Que l’on prête aux grands arbres

Et la timidité
Que l’on prête aux grands arbres

Philippe Thivet
(10/03/2022)