La frime

C'est de ces mots trois fois plus beaux
Que ce qu'ils dis'nt en vérité.
C'est de vouloir vendre sa peau
Plus chèr' qu'ell' ne l'a méritée.

C'est l'histoire que l'on raconte
Bien mieux que de l'avoir vécue.
C'est les enchères qui remontent
A la cote des m'as-tu-vu.

C'est des mots-clés qu'on fait jouer
Dans les serrur's de l'illusion.
C'est une sorte de bouée
Que l'on jette à ses prétentions.

La frime,
Qui fait tourner le monde
Au jeu des apparences,
Et qui fait dans sa ronde
Briller l'insignifiance.
La frime.

C'est un vent tiède et bienveillant
Qui vient souffler sur les ego.
C'est de jouer les importants
Comm' font les enfants pour de faux.

C'est laisser croire à demi-mot
Que l'on est peut-être quelqu'un.
C'est vivre encore en mégalo
Bien au-dessus de ses moyens.

C'est avoir l'air sans en manquer
Au palmarès des histrions.
C'est un complexe sublimé
Où l'on se vautre avec aplomb.

La frime,
Qui fait tourner le monde
Au jeu des apparences,
Et qui fait dans sa ronde
Briller l'insignifiance.
La frime.

C'est avoir honte d'être soi
Jusqu'à vouloir en rajouter.
C'est être fier tout à la fois
Jusqu'à pouvoir s'en dégoûter.

C'est beaucoup d' bruit pour pas grand-chose
Dans le silenc' de sa conscience.
C'est de vouloir prendre la pose
A chaque instant de l'existence.

C'est de renier ce que l'on est
En en tirant de la fierté.
C'est avoir « je » pour seul sujet
Dans les éclats de sa psyché.

La frime,
Qui fait tourner le monde
Au jeu des apparences,
Et qui fait dans sa ronde
Briller l'insignifiance.
La frime.

C'est enfin la mauvaise foi,
Recours suprêm' pour s'en sortir.
C'est se mentir d'abord à soi
Bien plus qu'aux autres pour finir.

La frime,
Qui fait tourner le monde
Au jeu des apparences,
Et qui fait dans sa ronde
Briller l'insignifiance.
La frime.

Philippe Thivet
(14/10/2001)
Musique : Pascal Garry
(Extrait de l'album  Vents de terre  2003)