Croque-mort

Si parfois je sifflote au volant du camion
Je sais bien les douleurs que charrie mon fourgon
J’y brasse les tristesses, les pleurs, les sanglots
J’en ouvre le cortèg’ puisque tel est mon lot
Je me frotte à vos feus sans pourtant m’y brûler
Rêvant de dire enfin : la mort est annulée

Et pourtant malgré moi je mène à mauvais port
A longueur de journée, moi je croque les morts

Si je pense au dîner quand le veuf se recueille
Je porte vos défunts sans en porter le deuil
Dans mon costume noir je suis de triste augure
Quand mon ombre descend sur votre sépulture
Au fond du cimetièr’ j’accompagne vos drames
Et j’y sème des corps pour qu’y poussent des âmes

J’y plante les dépouill’s, les regrets, les remords
A longueur de journée, moi je croque les morts

Si je vous lis parfois quelque vibrant hommage
La plume est sans rapport, je ne suis que ramage
Mais malgré la distance en inhumant vos morts
C’est quelquefois les miens que je me remémore
Quand je mène à la flamm’ l’amour de votre vie
C’est bien à contrecœur, toujours à contre-envie

Je me fonds malgré moi dans ce sombre décor
A longueur de journée, moi je croque les morts

Si l’être vous est cher, je gagne ainsi ma vie
Déplorant pour autant ce qui vous est ravi
Je sais un peu de vous et de votre chagrin
La peine qui vous pèse et le mal qui étreint
Qu’importe que je sois dévot ou mécréant
Je vais selon vos vœux à Dieu, diable ou néant

Chacun ses convictions corps ou âme d’abord
A longueur de journée, moi je croque les morts

Si ma pompe est funèbre et ma voix compassée
Je reste bon vivant au ban des trépassés
Je connais les chansons racontant leur histoire
J’en fredonne parfois l’intime répertoire
Soutenant l’orphelin et consolant la veuve
Surtout ne croyez pas qu’il n’est rien qui m’émeuve

C’est un curieux métier qui parfois fait du tort
A longueur de journée, moi je croque les morts

Philippe Thivet
(26/07/2017)

 

 

 

 

×