Femme d'antiquaire

« Aux charmes d'antan », dit l'enseigne,
Oeuvres d'art ou nids à poussière,
Demandez-moi, je vous renseigne,
Je suis la femm' de l'antiquaire.

Un tas d'objets hétéroclites,
Des meubl's à ne savoir qu'en faire,
De faux ors et de vraies pépites,
Voici ma vie, mon univers.

Je suis la femm' de l'antiquaire.

Mais il y a cette ombre au tableau
Sur la toil' de monsieur le maire,
Mon mariage est un bib'lot
Oublié sur une étagère.

Je me morfonds sous les bois'ries
Et les chandeliers d'avant-guerre
Pour fair' plaisir à mon mari,
Qui lui ne me regarde guère.

Je suis la femm' de l'antiquaire.

Les tapisseries vénitiennes
M'ont servie de voyag' de noces,
Entre les verrot'ries anciennes
Et les violons de son négoce.

Je suis la femm' d'un drôl' de boss.

Les vieilleries me font ombrage,
Je suis prête à tout pour lui plaire,
Même à fair' bien plus que mon âge,
Je suis la femm' de l'antiquaire.

Lui il caresse ses statues
En leur cherchant quelque mystère.
Bref, il leur met la main au cul,
Mais pour le mien y a rien à faire.

Je suis la femm' de l'antiquaire.

Dans ce grand lit à baldaquin,
Qui en a bien connu naguère,
J'embarque pour de doux matins,
Mais je navigue en solitaire.

Quand je m'assieds sur la commode,
Louis XV ne s'en offusque guère,
Pourtant j'attends d'être à la mode,
Cotée au cours de ses affaires.

Je suis la femm' de l'antiquaire.

J'en ai rêvé des nuits d'amour
Aux couches de la Belle Epoque,
Seul'ment j'attends encor' mon tour
Au fond de mon triste paddock.

Je suis la femm' d'un drôl' de schnock.

Les vieilleries me font ombrage,
Je suis prête à tout pour lui plaire,
Je fais déjà plus que mon âge,
Je suis la femm' de l'antiquaire.

J'étais la femm' de l'antiquaire.

Philippe Thivet
(04/05/2003)