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Au fond des poches

Nos vies dans deux valises,
L'amour en sac à dos,
On s'inventait Venise
Au bord du caniveau.

Notre pont des Soupirs
Comptait les bateaux mouches,
Qui lorgnaient sans le dire
Sur le miel de ta bouche.

Les pavés du trottoir
Nous dressaient des ardoises,
A l'hôtel « Va t' fair' voir »
Tu jouais les bourgeoises.

Nous tombions de sommeil
Dans nos draps de chiffon,
Nos étoil's valaient celles
Qu'on astique au Crillon.

Bon an, mal an, nos deux valoches,
Et de l'amour au fond des poches.

Du haut de son clocher,
Leur bon Dieu métronome,
Décomptait nos journées
Sur le plancher des hommes.

Le plafond de la Z.A.C
N'était pas toujours bleu,
Les néons insomniaques
Y faisaient de leur mieux.

Un taudis vue sur terre
Recueillait nos espoirs,
En cachant la misère
A la faveur du soir.

Les lueurs de la ville
Nous tenaient la chandelle,
Quand nos cœurs volubiles
Y réchauffaient leurs ailes.

Bon an, mal an, nos deux valoches,
Et de l'amour au fond des poches.

Le vent n'était pas fier
De souffler dans nos rues,
Saignant ses courants d'air
A nos vitres fendues.

Même les chiens errants
N'erraient plus par chez nous,
Nos joyeux os d'amants
Narguaient leur faim de loup.

L'épicier des grands jours
N'ouvrait que le trent'-six,
Nos mois étaient trop courts
Pour suivre ses caprices.

Avec un chèque en bois
C'eut été l'Amérique !
Les zéros faisant foi
A la pointe d'un bic.

Bon an, mal an, nos deux valoches,
Et de l'amour au fond des poches.

Aujourd'hui l'âme en peine,
Dans le soir qui s'approche,
Je traverse la Seine,
Les mains au fond des poches.

Philippe Thivet
(28/04/2003)