Varengeville

C'est un cimetière là-haut,
L'esquisse d'un radeau de pierre,
Gardien repu de vos vieux os,
Que déjà grignote la mer.

Avant que vos tombes ne craquent
Sur l'envers de ce ciel d'écume,
Où la colomb' de Georges Braque
Revient lisser son cœur de plumes,
Vos squellett's à flanc de falaise
Recomptent leur éternité,
Et nos âm's à flanc de fadaises
Recentr'nt un peu la gravité.
De l'au-delà à l'eau d'ici,
La mer réclame encor' son dû,
Le ciel en est premier surpris
Puisque les arm's étaient rendues.

C'est un cimetière à vau-l'eau,
L'esquisse d'un radeau de pierre,
Gardien repu de vos vieux os,
Echoué sur un lambeau de terre.

Le sablier de l'océan
Remonte son compte à rebours,
Devant le chevalet branlant
Du peintre de vos derniers jours.
Vos ombres gliss'nt dans le tableau
Le doute de vos épitaphes,
Sachant que la marée bientôt
Y inscrira son paragraphe.
De l'eau d'ici à l'au-delà,
Où sombrerons-nous corps et âmes ?
Où mèneront nos derniers pas ?
Qui donc en aura le sésame ?

C'est un cimetière à fleur d'eau,
L'esquisse d'un radeau de pierre,
Gardien repu de vos vieux os,
Qui s'en ira prendre la mer.

Qu'une tempête de Toussaint
Vienne vous tirer par la Manche,
Branches d'étoil's, piquants d'oursins,
Luiront aux cieux de vos croix blanches.
Vos résidences secondaires
Au prix d'une poignée de sable.
Le vent refaisant les poussières
De vos passés insaisissables.
De l'au-delà à l'eau d'ici,
La vie n'est rien qu'une histoir' d'eau,
Dans cette lutte sans merci
La mer aura le dernier mot.

Ce cimetièr' six pieds sous l'eau,
Epave d'un radeau de pierre,
Où l'on n' fera plus de vieux os,
Entre le ciel et l'outre-mer.

Avant que vos tombes ne tombent
Sur l'envers de ce ciel d'écume,
Où le plongeon d'une colombe
Vous saluera d'un trait de plume.

Philippe Thivet
(10/08/2006)