Aral

Il y avait ici
Sans doute un port de pêche
A cet endroit précis
Où la terre se dessèche

Des femmes, des enfants
Au bout d’une jetée
Épiant le point blanc
D’un bateau familier

Mais la mer se retire
Pour la folie des hommes
À peine un souvenir
Qui doucement se gomme

À peine quelques ruines
Écrasées de chaleur
Dont la poussièr’ saline
Dévore les couleurs

Entre les murs brûlés
Tournent les vents salés
Et de la mer d’Aral
S’élève un dernier râle

On entendait ici
Chanter les eaux du fleuve
À cet endroit précis
Où l’on attend qu’il pleuve

Ce n’est plus qu’un remous
Nocif et lancinant
Charriant dans ses boues
Quelques poisons violents

Et la mer agonise
Sous nos yeux satellites
Semant d’épaves grises
Ses plages de terr’ cuite

Des navir’s sur le sable
Au milieu du désert
Mirage inconcevable
D’une vie ordinaire

Entre les coque(s) échouées
Tournent les vents salés
Et de la mer d’Aral
S’élève un dernier râle

Il y avait ici
Une vie, un village
À cet endroit précis
En aval des barrages

Quelques jardins sans doute
Arrogants de verdure
Loin de la grande route
Et des grandes cultures

Mais la mer se retire
Et tout le reste avec
Les enfants sans rien dire
Referment leurs yeux secs

Ils sont là pétrifiés
Au milieu du néant
Une mare oubliée
En guise d’océan

Entre les gens figés
Tournent les vents salés
Et de la mer d’Aral
S’élève un dernier râle

Philippe Thivet
(10/04/2008)