Tumulte printanier

Le printemps du poète à peine en taches d’encre
Attend là sur sa branch’, que l’abeille l’enfante
Qu’éclatent les bourgeons, que les robes s’échancrent
Qu’en nos veines la sève en bouillons s’impatiente

Tout est neuf, et pourtant depuis des millénaires
Tout revient à l’heur’ dit’, plus ou moins quelques gouttes
De la dernière pluie ou de la premièr’ bière
Là, l’hiver à revers vient y semer le doute

Sont-ce les fruits d’été qui tombent en flocons
Sur ce fil en avril où l’on va funambules
De frimas en désirs, butiner le frisson
Quand l’ardeur printanièr’ détricote nos pulls

Le printemps sur nos cœurs essaime son pollen
Étamine et pistil y frémissent au vent
Et les corps impatients fébriles se délainent
Effeuillant les raisons de se sentir vivants

Tout est neuf, et déjà on défie la grisaille
Attendant l’hirondelle qui fait ce qu’elle peut
En bravant les tourments, la grêle et la mitraille
Quand la glace et le feu jouent à sauve-qui-peut

Chair de poule à nos peaux découvertes trop tôt
On rejoue le grand air d’« il n’y a plus de saisons »
Fausses notes soudaines au grand déconcerto
Vivaldi ne sait plus où donner du violon

Le printemps très volage sous son boa de plumes
Nidifie les espoirs à l’aplomb du solstice
Le soleil effiloche une écharpe de brume
Contrepoint de dentelle que l’araignée tisse

Tout est neuf, et voilà qu’au langage des fleurs
Perce-neige et coucou rivalisent d’audace
Appelant à remettre les pendules à l’heure
L’un voué à Phébus et l’autre aux saints de glace

Aux giboulées de Mars sur les champs de bataille
On ne sait où donner de la tête et du cœur
Quand le temps des bourgeons y est pris en tenaille
Implorant la colombe et le merle moqueur

Ce printemps, le poète se fait un sang d’encre
Sachant plus que jamais que le monde est en crise
Conjurant comme il peut de ses rimes de cancre
La menace planant sur le temps des cerises

Philippe Thivet
(14/04/2022)